Chapitre 7. Mélodie (part. 2) (traduit par Sophie)

    

- A-t-elle une histoire ? demanda-t-elle, un sourire dans la voix.

Cela lui faisait si plaisir que je me sentis coupable d’avoir négligé ma musique si longtemps. C’avait été égoïste.

- C’est… une berceuse, je suppose.

Je tenais le bon pont. Il mena naturellement vers le second mouvement, prenant vie de lui-même.

- Une berceuse, répéta-t-elle.

Oui, il y avait une histoire à cette mélodie, et une fois que je l’eus vu, les morceaux se mirent en place sans peine. Cette histoire était une fille endormie dans un lit étroit, sa chevelure épaisse et sombre étalée en vaguelettes sur son oreiller…

Alice laissa Jasper se débrouiller et vint s’asseoir à côté de moi sur le tabouret. De son carillon céleste, elle ébaucha un contrechant sans paroles deux octaves au-dessus de la mélodie.

- J’aime beaucoup ça, murmurai-je. Mais que penses-tu de cela ?

J’incorporai son chant à l’harmonie – mes mains volaient au-dessus des touches pour tout jouer en même temps –, la modifiant un peu, l’emmenant vers une autre direction…

Elle comprit le ton et accompagna ce changement.

- Oui, parfait, dis-je.

Esmée me pressa l’épaule.

Mais je voyais l’issue du morceau à présent, avec la voix d’Alice qui s’élevait au-dessus de l’air, l’emmenant autre part. Je vis comment la chanson devrait se terminer, car cette fille endormie était parfaite comme elle était, et que le moindre changement serait une faute, un gâchis. La chanson dériva du fait de cette prise de conscience, de plus en plus lente, de plus en plus basse. La voix d’Alice se fit plus légère, elle aussi, plus solennelle, d’une tessiture qui appartenait plus aux voûtes résonnantes d’une cathédrale illuminée de cierges.

Je jouai la dernière note, puis courbai la tête, sur le clavier.

Esmée me caressa les cheveux. Tout ira bien, Edward. Tout se passera pour le mieux. Tu mérites le bonheur, mon fils. Le destin te doit bien ça.

- Merci, chuchotai-je en souhaitant pouvoir la croire.

L’amour n’arrive pas toujours dans un paquet cadeau.

Je ris, sans le moindre amusement.

Toi, plus que tous sur cette planète, es peut-être le mieux équipé pour t’arranger d’une telle difficulté. Tu es le meilleur et le plus brillant d’entre nous.

Je soupirai. Toutes les mères pensaient cela de leur fils.

Esmée ne s’était toujours pas remise de son ravissement que mon cœur eût été touché après tout ce temps, quel que soit le risque que cela tourne à la tragédie. Elle qui avait cru que je resterais seul à jamais…

Elle devra t’aimer en retour, pensa-t-elle soudain, la direction de ses réflexions me prenant par surprise. Si c’est une fille intelligente. Elle sourit. Mais je ne n’arrive pas à imaginer comment quelqu’un pourrait être assez lent pour ne pas voir à quel point tu es remarquable.

- Arrête, Maman, tu vas me faire rougir, plaisantai-je.

Ses paroles, bien que peu plausibles, me réconfortaient. Alice rit et commença à pianoter de la main droite le thème de « Heart and Soul ». Je lui fis un grand sourire et complétai avec une deuxième voix. Puis je lui accordai une interprétation de « Chopsticks ».

Elle gloussa, puis soupira.

- J’espérais que tu me dirais pourquoi tu te moquais de Rose, fit-elle, mais je vois que tu ne le feras pas.

- Nan.

Elle me donna un petit coup sur l’oreille.

- Sois gentille, Alice, la réprimanda Esmée. Edward se comporte en gentleman.

- Mais je veux savoir !

Je m’esclaffai à son ton pleurnichard. Puis j’interpellai Esmée et commençai à jouer sa chanson préférée, un tribut sans nom à l’amour auquel j’assistais entre elle et Carlisle depuis tant d’années.

- Merci, mon chéri.

Elle pressa à nouveau mon épaule.

Je n’avais pas à me concentrer pour jouer ce morceau familier. Au lieu de cela, je pensai à Rosalie, toujours à se tordre sous sa voiture, mortifiée, et j’eus un sourire intérieur. Venant tout juste de découvrir le potentiel de jalousie que je recelais, j’avais un peu de pitié pour elle. C’était un sentiment douloureux. Évidemment, sa jalousie était mille fois plus mesquine que la mienne. Une goutte d’eau par rapport à l’océan.

Je me demandai si la vie et la personnalité de Rosalie auraient été différentes si elle n’avait pas toujours été la plus belle. Aurait-elle été plus heureuse si la beauté n’avait pas toujours été son atout majeur ? Moins égocentrique ? Plus compatissante ? Enfin, il était inutile de se poser de telles questions, puisque ce qui était fait était fait, et elle avait toujours été la plus belle. Même humaine, elle avait toujours vécu éclairée par sa propre vénusté. Cela ne lui déplaisait pas, au contraire. Elle prisait l’admiration plus que tout. Cela n’avait pas changé avec la perte de son humanité.

Il n’était donc pas surprenant, considérant ce besoin comme un acquis, qu’elle eût été offensée quand je n’avais pas, dès le début, vénéré sa beauté comme elle s’attendait à ce que tous les mâles la vénèrent. Elle ne me désirait pas, loin de là. Mais le fait que je ne la veuille pas n’avait fait qu’aggraver les choses. Elle était accoutumée à être désirée.

C’était différent avec Jasper et Carlisle ; ils étaient tous les deux amoureux. J’étais le seul célibataire, et pourtant j’étais resté obstinément insensible.

J’avais pensé que cet ancien ressentiment était enterré. Qu’elle avait dépassé ce stade.

Et cela avait été le cas… avant que je ne trouve finalement quelqu’un dont la beauté m’avait touché plus que la sienne.

Rosalie s’était consolée en pensant que si je n’avais pas estimé sa beauté digne d’être vénérée, alors aucune beauté au monde ne pourrait m’atteindre. Elle était furieuse depuis l’instant où j’avais sauvé la vie de Bella, devinant, avec son intuition féminine, l’intérêt dont j’étais encore complètement inconscient moi-même.

Rosalie était monstrueusement vexée que j’eusse trouvé une humaine insignifiante plus attrayante qu’elle.

Je réprimai mon envie soudaine de m’écrouler de rire.

Toutefois, la façon dont elle voyait Bella me dérangeait. Rosalie le considérait en effet comme quelconque. Comment pouvait-elle croire cela ? Ça m’était absolument incompréhensible. Un pur produit de sa jalousie, sans aucun doute.

- Oh ! s’exclama soudain Alice. Jasper, devine quoi ?

Je vis ce qu’elle venait de voir, et mes mains se gelèrent au-dessus des touches.

- Quoi, Alice ? s’enquit Jasper.

- Peter et Charlotte viennent nous voir la semaine prochaine ! Ils seront de passage dans le coin, ce n’est pas génial ?

- Qu’est-ce qui ne va pas, Edward ? me demanda Esmée, sentant la tension dans mes épaules.

- Peter et Charlotte viennent à Forks ? sifflai-je à l’intention d’Alice.

Elle leva les yeux au plafond.

- On se calme, Edward. Ce n’est pas leur première visite.

Ma mâchoire se figea. Si, c’était leur première visite depuis que Bella était arrivée, et je n’étais pas le seul à trouver son sang désirable.

Alice fronça les sourcils devant mon expression.

- Ils ne chassent jamais ici, tu le sais bien.

Mais le frère d’armes de Jasper et la petite vampire qu’il aimait n’étaient pas comme nous : ils chassaient de manière traditionnelle. Je ne pouvais leur faire confiance s’ils venaient à s’approcher de Bella.

- Quand ? exigeai-je.

Elle pinça les lèvres, contrariée, mais me dit ce que je voulais savoir. Lundi matin. Personne ne fera de mal à Bella.

- Non, en effet, acquiesçai-je avant de me détourner d’elle. Tu es prêt, Emmett ?

- Je croyais qu’on était censés partir dans la matinée ?

- Nous reviendrons dimanche vers minuit. À toi de décider quand on y va.

- D’ac, pas de problème. Laisse-moi dire au revoir à Rose d’abord.

- Bien sûr.

Au vu de l’humeur de Rosalie, ces adieux ne seraient pas longs.

Tu dérailles complètement, Edward, pensa-t-il en se dirigeant vers la porte du fond.

- Oui, j’en ai bien l’impression.

- Joue-moi encore ta nouvelle chanson, me demanda Esmée.

- Si elle te plaît, consentis-je.

J’hésitai pourtant un peu à suivre le thème vers sa fin inéluctable – cette fin qui me faisait souffrir d’une manière si peu familière. Je réfléchis un moment, puis sortis de ma poche la capsule de bouteille et le posai sur le pupitre vide. Cela m’aidait un peu – un petit rappel de son oui.

J’opinai pour moi-même et commençai à jouer.

Esmée et Alice échangèrent un regard furtif, mais aucune ne posa de questions.

 

 

- Personne ne t’a jamais dit de ne pas jouer avec la nourriture ? criai-je à Emmett.

- Ohé, Edward ! me héla-t-il lui aussi en agitant la main avec un grand sourire.

L’ours profita de sa distraction momentanée pour griffer de sa grosse patte le torse d’Emmett. Ses griffes acérées déchirèrent sa chemise, et crissèrent sur sa peau. L’ours grogna à ce bruit aigu.

Nom d’un chien, c’est Rose qui m’avait offert celle-ci !

Emmett rugit en direction de l’animal enragé.

Je soupirai et m’installai sur un rocher confortable. Cela pouvait encore durer longtemps.

Mais mon frère avait presque fini. Il laissa l’ours essayer de le décapiter d’un autre coup de patte, riant aux éclats lorsque sa gifle le manqua, envoyant le lourd mammifère tituber en arrière. Il eut un grondement menaçant, auquel Emmett répondit malgré son rire. Puis il s’élança vers l’animal, qui faisait une tête de plus que lui une fois debout sur ses pattes arrière, et leurs corps retombèrent entremêlés au sol, entraînant dans leur chute un épicéa de taille respectable. Les grondements de l’ours s’interrompirent dans un gargouillement.

Quelques minutes plus tard, Emmett arriva vers moi en trottinant. Sa chemise était en lambeaux, froissée et pleine de sang, toute poisseuse de sève et couverte de fourrure. Ses sombres cheveux ondulés n’étaient pas en meilleur état. Un énorme sourire s’étalait sur son visage.

- Il était fort, celui-là. J’ai failli sentir sa griffure.

- Tu es tellement gamin, Emmett.

Il jeta un œil à ma chemise immaculée, sans un faux pli.

- Tu n’as pas réussi à attraper ce puma, hein ?

- Bien sûr que si. Mais moi, je ne mange pas comme un sauvage.

Il éclata d’un rire tonitruant.

- J’aimerais qu’ils soient plus forts. Ce serait plus marrant.

- Personne ne t’a demandé de te battre contre ta nourriture.

- Ouais, mais sinon, contre qui je me battrais ? Alice et toi vous trichez, Rose ne veut jamais qu’on la décoiffe et Esmée devient folle quand Jasper et moi on s’y met vraiment.

- La vie est dure.

Il me sourit, déplaçant son poids pour se retrouver en position d’attaque.

- Allez, Edward. Éteins ton truc une minute et bats-toi à la loyale.

- Ça ne s’éteint pas, lui rappelai-je.

- Je me demande comment cette humaine fait pour te garder en-dehors de sa tête, songea-t-il. Elle pourrait peut-être me refiler quelques tuyaux.

Ma bonne humeur s’évanouit.

- Ne t’approche pas d’elle, grondai-je entre mes dents.

- Ce que t’es susceptible !

Je soupirai. Il vint s’asseoir à côté de moi.

- Désolé. Je sais que tu traverses une mauvaise passe. J’essaye vraiment de ne pas me comporter en brute insensible, mais vu que c’est dans ma nature profonde…

Il attendit que je rie de sa plaisanterie, puis il afficha une mine ennuyée.

Tellement sérieux tout le temps. Qu’est-ce qui te travaille en ce moment ?

- Je pense à elle. Je m’inquiète, plutôt.

- Mais qu’est-ce qui peut bien t’inquiéter ? Toi, tu es là, aux dernières nouvelles !

J’ignorai à nouveau sa plaisanterie, mais répondis à sa question.

- Tu n’as jamais réalisé à quel point ils sont tous fragiles ? Tu as vu le nombre de catastrophes qui peuvent arriver aux mortels ?

- Pas vraiment. Mais je crois que je vois ce que tu veux dire. Je ne faisais pas vraiment le poids contre cet ours, la première fois, non ?

- Des ours, murmurai-je, ajoutant cette nouvelle peur à ma liste. Ce serait bien sa veine. Un ours errant en ville. Il se dirigerait sûrement droit vers elle.

Il s’esclaffa.

- T’as vraiment l’air d’un dérangé, tu sais.

- Imagine une minute que Rosalie soit humaine, Emmett. Qu’elle puisse se retrouver nez à nez avec un ours… se faire renverser par une voiture… se faire foudroyer… ou tomber malade – être victime d’une épidémie !

Les mots sortaient d’eux-mêmes. C’était un soulagement de les laisser s’échapper enfin – ils m’avaient rongé tout le week-end.

- Des incendies, des tremblements de terre, des tornades ! continuai-je. Mais quand as-tu regardé les informations pour la dernière fois ? Tu as vu le nombre de choses qui peuvent leur arriver ? Des cambriolages, des homicides…

Je restai les dents serrées, soudain si enragé à l’idée qu’un autre humain puisse lui faire du mal que je n’arrivais plus à respirer.

- Hé, ho ! On se calme, gamin. Elle habite à Forks, je te rappelle. La seule chose qui peut lui arriver, c’est de se faire mouiller, tempéra-t-il en haussant les épaules.

- Je pense que la malchance lui colle aux trousses, Emmett, vraiment. Regarde l’évidence : de tous les endroits au monde où elle pouvait aller, il a fallu qu’elle atterrisse dans une ville dont un pourcentage significatif de la population est composé de vampires !

- Oui, mais on est végétariens. Donc c’est de la chance, non ?

- Avec l’arôme qu’elle a ? De la pure malchance. Et, encore pire, l’arôme qu’elle a pour moi.

Je jetai un regard noir à mes mains, les détestant à nouveau.

- Sauf que tu as plus de contrôle que tout le monde, à part Carlisle. Encore du bol.

- La fourgonnette ?

- Ce n’était qu’un accident.

- Tu aurais dû le voir venir vers elle, Em, encore et encore. Je te le jure, c’était comme si elle avait un aimant.

- Mais tu étais là. Un coup de veine.

- Tiens donc ? Tu ne penses pas que ce soit la pire malchance au monde qu’un humain puisse avoir : qu’un vampire s’amourache de lui ?

Emmett considéra cela un moment. Il se représenta la fille dans sa tête, et trouva l’image inintéressante. Honnêtement, je ne vois pas ce que tu lui trouves.

- Et bien, je ne vois pas trop ce que tu vois d’intéressant chez Rosalie non plus, rétorquai-je. Honnêtement, elle est plus fière de son joli minois que ce qu’il vaut.

Il s’esclaffa.

- Je suppose que tu ne me diras pas…

- Je ne sais pas quel est son problème, Emmett, mentis-je avec un sourire soudain.

Je vis son intention à temps pour me préparer. Il tenta de me jeter à bas du rocher, et ce dernier se fendit en deux avec un craquement sonore.

- Tricheur, marmonna-t-il.

J’attendis qu’il réessaye, mais ses pensées prirent une autre direction. Il se représentait à nouveau le visage de Bella, mais plus blanc, lui imaginant des yeux d’un rouge brillant…

- Non, fis-je d’une voix étranglée.

- Ça résoudrait toutes tes inquiétudes en ce qui concerne sa mortalité, non ? Et comme ça tu n’aurais pas envie de la tuer. Ce n’est pas la meilleure solution ?

- Pour moi, ou pour elle ?

- Pour toi, répondit-il avec naturel.

Son ton impliquait un « bien sûr ». Je ris, sans humour.

- Mauvaise réponse.

- Moi, ça ne m’a pas tellement dérangé, me rappela-t-il.

- Ça a dérangé Rosalie.

Il soupira. Nous savions tous deux que Rosalie aurait tout fait, tout abandonné, pour redevenir mortelle. Même Emmett.

- Ouais, c’est vrai.

- Je ne peux pas… je ne dois pas… je ne vais pas ruiner la vie de Bella. Ne ressentirais-tu pas la même chose, s’il s’agissait de Rosalie ?

Emmett y réfléchit un moment. Alors, tu… l’aimes vraiment ?

- Je ne peux même pas te le décrire. Tout d’un coup, cette fille est devenue le centre de l’univers à mes yeux. Je ne vois même pas l’utilité du reste du monde sans elle, désormais.

Mais tu ne la changeras pas ? Elle ne durera pas éternellement, Edward.

- Je le sais, grondai-je.

Et, comme tu l’as si bien souligné, elle est assez fragile.

- Fais-moi confiance, je le sais.

Emmett n’avait pas beaucoup de tact, et les discussions délicates n’étaient pas son fort. Il hésitait à présent, tentant par tous les moyens de ne pas se montrer discourtois.

Est-ce que tu peux au moins la toucher ? Enfin, je veux dire, si tu l’aimes… tu ne veux pas, eh bien, la toucher ?

Emmett et Rosalie partageaient un amour physique très intense. Il avait du mal à comprendre comment il était possible d’aimer sans cet aspect.

- Je ne peux même pas y penser, Emmett, soupirai-je.

Waouh. Dans ce cas, quelles sont tes options ?

- Je ne sais pas, chuchotai-je. Je cherche actuellement un moyen de… la quitter. Je n’ai pas encore trouvé le moyen de rester loin d’elle.

Avec une soudaine bouffée de gratitude, je réalisai qu’il valait mieux que je reste – au moins pour l’instant, avec l’arrivée prochaine de Peter et Charlotte. Elle serait temporairement plus en sécurité si je restais que si je m’en allais. Pour le moment, je pourrais être son improbable protecteur.

Cette pensée me rendit impatient ; il me tardait d’être de retour pour pouvoir remplir ce rôle le plus longtemps possible.

Emmett remarqua mon changement d’expression. À quoi penses-tu ?

- En ce moment, admis-je, un peu honteux, je meurs d’envie de retourner à Forks et de vérifier si elle va bien. Je ne sais pas si je tiendrai jusqu’à dimanche soir.

- Oh, oh ! Hors de question que tu rentres plus tôt. Laisse Rosalie se calmer un peu, s’il te plaît. C’est pour mon bien.

- Je tâcherai de rester, déclarai-je, sceptique.

Emmett tapota le téléphone dans ma poche.

- Alice appellerait s’il y avait un quelconque fondement à ta panique. Elle est aussi dingue de cette fille que toi.

Je grimaçai.

- Très bien. Mais je ne rentre pas après dimanche.

- Ça ne sert à rien de se dépêcher, de toute façon, il va faire beau. Alice a dit qu’on était dispensés de cours jusqu’à mercredi.

Je secouai la tête, rigide.

- Peter et Charlotte savent se tenir.

- Cela ne change rien, Emmett. Avec la chance qu’elle a, elle ira se promener dans les bois au plus mauvais moment et… (Je tressaillis.) Peter n’est pas connu pour son contrôle. Je rentre dimanche.

Emmett soupira. Exactement comme un dérangé.

 

 

Bella dormait paisiblement lorsque j’escaladai le mur jusqu’à la fenêtre de sa chambre le lundi matin. J’avais pensé à l’huile cette fois, et la fenêtre s’ouvrit silencieusement.

Je vis, de la façon dont ses cheveux étaient disposés sur son oreiller, que sa nuit avait été plus reposante que lors de ma dernière visite. Elle avait les mains jointes sous son menton comme un petit enfant, et sa bouche était légèrement entrouverte. Je sentais son souffle aller et venir lentement entre ses lèvres.

C’était un soulagement incroyable d’être là, de pouvoir la revoir. Je me rendis compte que je n’avais pas été vraiment détendu jusqu’à ce que ce soit le cas. Rien n’allait quand j’étais loin d’elle.

Ce n’était pas pour autant que tout allait bien lorsque j’étais avec elle, cependant. Je soupirai, laissant la morsure de la soif me déchirer la gorge. J’avais été absent trop longtemps. Tout ce temps passé sans douleur et sans tentation ne les rendait que plus fortes à présent. C’était si douloureux que je n’osai pas m’agenouiller près de son lit pour lire les titres de ses livres de chevet. Je voulais savoir quelles histoires elle avait en tête, mais je craignais plus que ma soif ; j’avais peur que, si je m’autorisais à me rapprocher autant, je voudrais être encore plus près jusqu’à ce que…

Ses lèvres avaient l’air si chaudes et douces. J’imaginai les toucher du bout de mon doigt. Tout légèrement…

C’était exactement le genre d’erreur que je devais éviter.

Mes yeux parcoururent son visage encore et encore, examinant ses changements. Les mortels changeaient sans cesse – je fus triste à la pensée de manquer quoi que ce soit…

Elle avait l’air… fatiguée. Comme si elle n’avait pas assez dormi ce week-end. Était-elle sortie ?

J’eus un rire aussi silencieux qu’amer en constatant à quel point cela m’affectait. Et si elle était sortie, en quoi cela me regardait-il ? Je ne la possédais pas. Elle n’était pas mienne.

Non, elle n’était pas mienne – et je fus de nouveau triste.

L’une de ses mains se contracta nerveusement, et je vis qu’elle avait quelques égratignures superficielles, presque cicatrisées, sur la paume. S’était-elle blessée ? Même si ce n’était évidemment pas une blessure sérieuse, cela me perturbait. J’observai l’endroit où elles étaient présentes, et conclus qu’elle avait dû trébucher. C’était une explication raisonnable, tout bien considéré.

Il était réconfortant de penser que je n’aurais plus à chercher les explications à ces petits mystères dorénavant. Nous étions amis – ou tout du moins, essayions de l’être. Je pourrais m’enquérir de son week-end – de la plage, et de l’éventuelle activité nocturne qui lui donnait une mine si exténuée. Je pourrais lui demander ce qui était arrivé à ses mains. Et je pourrais rire un peu quand elle confirmerait ma théorie sur cet accident.

J’eus un sourire attendri en me demandant si elle était vraiment tombée à l’eau. Je me demandai si elle s’était amusée durant cette sortie. Je me demandai si elle avait pensé à moi. Si je lui avais manqué ne serait-ce qu’une infime parcelle de ce qu’elle m’avait manqué.

Je tentai de me la représenter au soleil, sur la plage. L’image était incomplète, cependant, puisque je n’avais jamais été à First Beach moi-même. Je ne la connaissais que par des photos…

Je ressentis un léger spasme de malaise en repensant à la raison pour laquelle je ne m’étais jamais rendu à la jolie plage située à quelques minutes de course de chez moi. Bella avait passé la journée à La Push – un endroit qui m’était interdit d’accès par traité. Un endroit où quelques vieillards se souvenaient des histoires à propos des Cullen, s’en souvenaient et y croyaient. Un endroit où notre secret était connu…

Je secouai la tête. Il n’y avait rien dont je dusse m’inquiéter. Les Quileute étaient également liés par ce traité. Même si Bella avait croisé un des vieux sages, il n’aurait rien pu lui révéler. Et pourquoi ce sujet aurait-il été abordé ? Pourquoi Bella aurait-elle fait part de sa curiosité à cet endroit ? Non, les Quileute étaient peut-être la seule chose dont je n’avais pas à me soucier.

Je fus en colère lorsque le soleil commença à se lever. Il me rappelait que je ne pourrais satisfaire ma curiosité pour les jours à venir. Pourquoi avait-il choisi de briller maintenant ?

Avec un soupir, je sautai rapidement de sa fenêtre avant que la lumière devienne trop vive pour que l’on puisse me voir. J’avais eu l’intention de rester dans la forêt épaisse adjacente à sa maison et la voir partir pour le lycée, mais en arrivant sous le couvert des arbres, je fus surpris de trouver des traces de son odeur accrochées au sentier.

Je les suivis rapidement, curieux, m’inquiétant de plus en plus au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans les profondeurs sombres de la forêt. Qu’était-elle venue faire ici ?

La piste s’arrêta abruptement, au milieu de nulle part en particulier. Elle s’était écartée de quelques pas du sentier, dans les fougères, où elle avait touché le tronc d’un arbre abattu. Peut-être s’y était-elle assise…

Je m’installai à la place qu’elle avait occupée et observai les alentours. Tout ce qu’elle avait pu voir n’étaient que fougères et forêt. Il avait probablement plu – son parfum avait ruisselé sans s’ancrer profondément dans l’arbre.

Pourquoi Bella était-elle venue s’asseoir seule – et elle avait été seule, aucun doute sur ce sujet – au milieu de cette forêt sombre et humide ?

Cela n’avait aucun sens, et, au contraire des autres choses qui piquaient ma curiosité, je ne pouvais aborder ce sujet dans une conversation normale. Au fait, Bella, j’ai suivi ton odeur dans les bois après avoir quitté ta chambre, où je t’avais regardée dormir… Oui, ce serait le meilleur moyen de briser la glace.

Je ne saurais jamais ce qu’elle avait fait et pensé ici, et grinçai des dents, frustré. Pire, cela ne ressemblait que trop au scénario que j’avais imaginé pour Emmett – Bella toute seule dans les bois, là où son arôme attirerait quiconque avait les sens requis pour le pister…

Je grondai. Non seulement elle était poursuivie par la malchance, mais encore se précipitait-elle au-devant d’elle.

Enfin, pour le moment elle avait un protecteur. Je ferais attention à elle, la protégerais de tout le mal qui pourrait lui advenir, tant que je pourrais le justifier.

Je me surpris soudain à souhaiter que Peter et Charlotte prolongent un peu leur séjour.

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